Petit bilan en Je de quatre mois si loin de vous.


Durant quatre mois, j’ai vécu à un rythme fou.

J’ai eu le souffle coupé face à des paysages d’une profondeur infinie, perchée sur ce qui m’a semblé être le sommet d’un monde - plus l’on voit loin, plus mon cœur s’emballe, plus le temps se fige. J’ai été fascinée par les couleurs changeantes du sable glissant dans la mer, de la mer se fondant dans le ciel immense. J’ai été éblouie par la luminosité si chaude de la fin du jour et par celle, froide et intense, de la lune qui n’avait rien à envier à nos lampes de poche oubliées.

J’ai grelotté sur une moto lancée sur les routes aux premières lueurs du jour. J’ai crié mon émerveillement en rentrant de la plage au coucher du soleil sur cette route toute droite qui longeait les rizières, pédalant à toute allure sur un vieux vélo sans vitesses.

J’ai eu des doutes bien vite balayés par la facilité d’oser quand on est loin de tout.

Je me suis sentie bien dans une maison en teck, si vaste et si chaleureuse, où le thé vert et les pastèques tombaient du ciel comme si l’on était des amis. J’ai serré les mains de très jeunes étudiants dans les miennes en leur faisant promettre de tout mettre en œuvre pour réaliser leurs rêves. Les larmes me sont montées au bord des yeux en écoutant dans la nuit cambodgienne ce père de famille parler de sa survie sous le régime de Pol Pot. J’ai cru mourir dans un bus filant bien trop vite vers Ho Chi Minh. J’ai étouffé dans la chaleur moite des ruelles étroites de la vieille ville d’Hanoi. J’ai été écoeurée par les odeurs entêtantes des marchés sombres, sales et surchauffés où le durian se mêle aux pates de crevettes fermentées. Oubliant toute fatigue, je me suis levée avant l’aube pour voir le soleil se lever sur le Mekong où s’affairaient déjà depuis longtemps pêcheurs et marchands.

J’ai rencontré des gens formidables qui ont laissé en moi un goût de folie et d’envie d’en savoir toujours plus. Volontaires, audacieux, indépendants, curieux, altruistes, confiants et heureux, ils m’ont allumé un feu dans le cœur et m’ont laissé, bien longtemps après les « au-revoir », un sourire gigantesque sur le visage. J’ai trouvé dans leurs paroles l’écho des aspirations de mon moi pour lequel j’ai le plus d’affection. Ceux qui m’ont bouleversée d’énergie avaient plus de cinquante ans.

J’ai quelquefois perdu mon sang-froid devant le fossé si grand qui me séparait de la culture de ces gens trop différents de moi. Face à l’incompréhension mêlée d’une profonde fatigue, les larmes ont parfois coulé de mes nerfs en morceaux. J’ai râlé au nom de leur manque de respect, de leur mythomanie, de leur inertie. J’ai râlé contre les russes, les chinois, les français, les italiens et les américains.

J’en ai eu marre du riz, marre des nouilles, marre des fritures et de la sauce soja. J’ai bu des shakes à longueur de temps sans les compter. Je n’ai jamais mangé autant de fruits qu’ici et passerai ma vie de gourmet à tenter de retrouver le goût des avocats, des mangoustans, de la betterave et des tamarins de Chiang Mai, du jus de grenade de Bangkok, de la soupe au potiron de Luang Prabang et des pomelos de Can Tho. J’ai soupiré d’aise en prenant le premier verre de vin et le premier carbo du voyage à Kep après un mois de riz frit et de Saigon beer, en commandant le premier vrai croissant à Vientiane et un carrot cake divin à Ho Chi Minh. J’ai remercié le Laos de faire importer des Petits Ecoliers. J’ai bu trop de bières – mais c’est si bon quand la chaleur d’un jour brûlant retombe doucement. J’ai grimacé à chaque gorgée d’alcool de riz que l’on se devait d’accepter.

J’ai bu un latte brûlant dans le plus joli café du monde. J’aurais voulu emmener sur mon dos une poignée d’endroits où la vie est si douce. J’ai lu des livres formidables et d’autres moins bons. J’ai écouté en boucle alt-J et Jonsi. J’ai (fait) coupé/er mes cheveux trois fois, toujours plus court, toujours un peu raté. J’ai joué à Yahtzee jusqu’à en être dégoûtée.

J’ai partagé ces moments avec un homme remarquable doté d’une patience et d’un humour infinis.

J’ai trouvé le temps long, j’ai trouvé le temps trop court. J’ai dit « On a de la chance », j’ai dit « Quel jour de poisse ». J’ai dit « C’est complètement irréel » en partageant quelques heures hors du temps avec une famille Red Dao des montagnes du nord du Vietnam. J’ai marché dans la brume en disant tous les 500 mètres « We don’t see anything ! a-ny-thing ! ». J’ai (ré)appris la patience et me suis révoltée face à une culture de l’immédiateté, face à un mode de consommation à mille lieues de ce que rêve la grande idéaliste que je suis.

J’ai pris le temps de m’informer, de prendre beaucoup de notes, d’écrire - mais pinceaux et crayons ont été oubliés. J’ai pris énormément de photos puis je me suis lassée. J’ai cessé de m’accrocher à l’objectif pour inscrire dans ma mémoire seule des instants futiles et doux, des paysages fous.

Et maintenant. Je ne sais pas exactement où je vais mais je sais que je suis dans la bonne direction. J’ai des projets plein la tête et n’ai pas attendu d’être rentrée pour commencer à les mettre en œuvre. A présent que quelques heures à peine nous séparent du retour, je ne suis ni triste ni soulagée ; je sais que je ferai en sorte que la suite soit à la hauteur de mes envies.

De mes envies de vivre vivre vivre tant que j’en ai le temps.

1 commentaire:

  1. Très bel article, qui me un peu fait voyager depuis mon canapé, merci. ♥
    Je suis à moitié thaïe, et les vacances, si on y va, se passent en famille. C'est très chouette, mais je vois assez peu du pays. Je rêve d'aller faire un tour d'Asie en sac à dos, et disons que je vis un peu ça par procuration pour l'instant. :D

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